Un incontournable dans le polar canadien

Jusqu’à la moelle

Scott Thornley, traduit de l’anglais par Éric Fontaine

Boréal

408 pages

Qu’est-ce qui fait la force d’un roman policier et le distingue d’un autre, si ce ne sont pas ses personnages ? Au-delà d’une intrigue crédible et bien menée, les polars dont on se souvient sont ceux qui donnent naissance à des enquêteurs dont le mythe finit par dépasser l’œuvre, à l’image d’un Kurt Wallander ou d’un Harry Bosch.

Les personnages de l’Ontarien Scott Thornley incarnent cette nouvelle génération de policiers qui n’ont rien des durs à cuire d’une époque. Des enquêteurs qui n’éprouvent aucune gêne à exprimer leurs sentiments ou à manifester leur répugnance à la vue d’un cadavre. Qui ont compris qu’ils sont avant tout des êtres humains avant d’être des flics. Et c’est peut-être ça, justement, qui fait de l’inspecteur Iain MacNeice et de sa partenaire, Fiza Aziz, des personnages foncièrement attachants qu’on a envie de retrouver.

Veuf, MacNeice agit avec la droiture que l’on imagine chez ces enquêteurs habités d’une véritable vocation, bien qu’il soit miné par un incommensurable chagrin depuis la disparition de sa femme. C’est un policier sensible et réfléchi, de l’aveu même de sa partenaire, et tous deux partagent le même sens du devoir imperturbable – malgré les doutes qui les assaillent devant l’horreur et les risques du métier. « Il faut continuer à marcher, tout simplement. C’est sinistre, aucun doute, mais c’est essentiel », dira MacNeice lorsque sa coéquipière lui demandera pourquoi ils font un tel travail.

Si on embarque aussi vite dans ce troisième titre en français, c’est sans doute parce qu’on a immédiatement le sentiment de renouer avec de vieilles connaissances – qu’on ait lu ou non les romans précédents (Mémoire brûlée et De chrome et de sang, traduits l’an dernier). Jusqu’à la moelle nous transporte à nouveau dans la ville fictive de Dundurn, aux abords du lac Ontario. Au cours d’un mois de mars particulièrement pluvieux, le corps d’une femme est retrouvé dans la baie de Cootes Paradise ; les policiers ont à peine le temps d’ouvrir leur enquête pour identifier la victime qu’il y a un deuxième mort dans un parc, nous entraînant dans les fils enchevêtrés de deux histoires distinctes et tout aussi prenantes.

Ce qui fait également la particularité du roman, c’est que non seulement on est tout près de chez nous, en territoire familier, mais le traducteur a aussi judicieusement choisi de québéciser les dialogues – sacres inclus –, accentuant d’autant plus cet effet de proximité.

Assurément divertissant, Jusqu’à la moelle inscrit définitivement l’inspecteur MacNeice parmi les personnages à suivre dans le polar. Et ceux qui ont aimé le célèbre personnage de Giles Blunt, John Cardinal, prendront certainement plaisir à retrouver ce même flegme typiquement anglo-saxon. À quand la série télé inspirée des romans ?

Une famille imparfaitement normale

Set et match !

Liane Moriarty, traduit de l’anglais par Sabine Porte

Albin Michel

528 pages

Tout le monde a des secrets. Même dans les familles en apparence parfaites. Lorsque Joy Delaney, une retraitée qui habite avec son mari dans une banlieue aisée de Sydney, s’absente sans donner signe de vie après avoir envoyé à ses enfants un texto confus, ceux-ci en viennent à envisager le pire : leur père pourrait-il être responsable de sa disparition ? Dans ce nouveau roman qui est sans doute son plus réussi depuis Petits secrets, grands mensonges, l’Australienne Liane Moriarty navigue entre passé et présent et varie les points de vue de façon à construire un suspense à la fois drôle et dramatique. Les vieilles rancœurs et les ressentiments ressurgissent ; les blessures qui n’ont jamais cicatrisé aussi, comme les déceptions de cette mère on ne peut plus ordinaire qui réussit à incarner les luttes matrimoniales de toute une génération de femmes dévouées à leur famille, mais complètement démunies lorsque vient le temps de « profiter » de la retraite. Avec ses personnages irrésistibles, Set et match ! nous immerge dans la complexité des relations familiales et dans l’intimité d’un clan soudé qui est loin d’être parfait, mais qui ne pourrait paraître plus vrai.

— Laila Maalouf

ESSAI

Pour découvrir l’histoire de l’Allemagne

Allemagne : mémoires d’une nation

Neil MacGregor

Belles Lettres

560 pages

En Allemagne, la combinaison de plongée en eau froide n’est pas qu’un vêtement de sport. Elle est tantôt symbole de liberté, tantôt symbole de mort. Car entre 1961 et 1989, années de la construction et de la destruction du mur de Berlin et, par extension, de tous les barrages séparant les deux Allemagnes, 5609 citoyens ont tenté de fuir l’Allemagne de l’Est via la mer Baltique. Or, seulement 913 ont réussi. Voilà un bon exemple pour illustrer comment est construit Allemagne : mémoires d’une nation, un ouvrage colossal qui raconte l’Allemagne et les Allemands par leurs objets, leur nourriture, leurs œuvres d’art, leurs édifices. Ce livre est une formidable porte ouverte sur plusieurs siècles de l’histoire du pays. Rédigé par l’ancien directeur de la National Gallery et du British Museum de Londres, l’ouvrage fait penser à une promenade dans un musée. Sauf qu’ici, on lit toutes les vignettes ! Parce que c’est écrit, et traduit, brillamment. Parce que MacGregor est habité par son sujet sans verser dans la complaisance. Parce qu’on en est amusé et instruit. Prenons la saucisse, dont le nombre de déclinaisons est le reflet du pays avec ses innombrables divisions passées (villes, régions, royautés, etc.) « Une carte des saucisses d’Allemagne ressemblerait à une mosaïque d’une complexité insaisissable », écrit l’auteur. Ailleurs, il décortique l’amalgame d’une route commerciale faite de villes fortes et autonomes. Leur regroupement s’appelait Hanse. De là, le nom de la compagnie aérienne Lufthansa (l’Hanse de l’air). Sans surprise, de longs passages sont consacrés à la Seconde Guerre mondiale et au régime nazi, mais sans que cela occulte l’ensemble. Un travail remarquable.

— André Duchesne, La Presse

Les enquêtes d’une pathologiste en Saskatchewan

La pathologiste

Elisabeth Tremblay

Flammarion Québec

304 pages

Saskatchewan, été 1918. Le nouveau médecin légiste de Regina vient à peine d’arriver en poste que déjà, deux affaires atterrissent sur sa table d’autopsie : un jeune homme battu à mort dans la forge de son oncle, et des ossements humains trouvés sur une terre agricole.

Il y a un détail qui donne tout son intérêt à ce polar : le médecin légiste est en fait une jeune femme, la docteure Lesley Richardson. C’est un personnage librement inspiré de Frances Gertrude McGill, une pathologiste qui a résolu plusieurs affaires dans les années 1920 et 1930, ce qui lui a valu le surnom de « Sherlock Holmes de la Saskatchewan ».

L’auteure Elisabeth Tremblay crée une intéressante galerie de personnages autour de la Dre Richardson, comme l’indéfectible enquêteur Morley Vines, l’herboriste métisse Nokonis et, surtout, Lucinda, la gouvernante et amie très chère de Lesley. S’y ajoutent quelques personnages traditionnels, comme le chef de police obtus Abraham Mutch et l’avocat hautain McGuire.

Une partie de l’intrigue est inspirée d’une des affaires résolues par Frances Gertrude McGill. Toutefois, l’ensemble est un brin confus, et certains ressorts sont un peu convenus.

L’attrait principal du roman réside dans la peinture d’une société où Blancs et Métis se côtoient, où la prohibition crée une nouvelle classe de criminels, où « le bois » continue d’attirer les jeunes hommes épris de liberté. Et surtout, une société où les femmes commencent à jouer un rôle plus public, plus officiel, avec toutes les tensions que cela peut entraîner.

— Marie Tison

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